Pas facile de se positionner. D’un côté des études qui nous montrent les dangers des écrans pour le développement du cerveau, de l’autre, l’envie de faire confiance à son enfant sans hiérarchiser ses intérêts en « bon » ou « mauvais ».

Depuis quelques années, nous sommes passés par plusieurs stratégies dans notre gestion à la maison : minuter (on établit un temps avec l’enfant, il met la minuterie et s’engage à arrêter quand ça sonne), temporiser (« juste une partie », « après ce jeu tu t’arrêtes », « on dit qu’on enchaîne pas deux épisodes à la suite »), « sevrage » (une semaine sans tablette pour retrouver d’autres choses à faire dans la maison), laisser faire (avec il faut le dire, pas mal d’angoisse pour les parents !).

En théorie, c’est cette dernière option qui me séduit. Pas parce que c’est relax (ça ne l’est carrément pas pour moi, je me ronge le frein, j’ai beaucoup de mal à ne pas être culpabilisante envers mon fils : « rooh, c’est pas vrai, ça fait des plombes que tu es là-dessus, tu peux pas faire autre chose ? »), mais bien pour ce que ça sous-entend : faire confiance à l’enfant pour trouver lui-même et dans chaque chose ce dont il a besoin, ne pas niveler les intérêts ni créer d’« interdit » rendant l’objet d’autant plus séduisant, ne pas projeter sur l’enfant autre chose que ce qu’il vit réellement.

Parfois, ça ne me va pas du tout. Je culpabilise en me disant que je ne m’en occupe pas correctement, que c’est mon rôle de limiter l’usage, que c’est déprimant, qu’il est peut-être en train de se niquer des neurones et qu’il ne sera peut-être pas capable de se réguler, que ça risque de « s’aggraver ».

Maintenant, si je fais une observation objective : oui, mon fils aime beaucoup faire des jeux sur la tablette ; mais il n’a pour autant aucun mal à rencontrer d’autres enfants, il adorent aussi aller au skate-park, grimper dans les arbres, compter son argent. Il souhaite chaque jour partager ses découvertes avec nous, nous faire essayer ses jeux.
Parfois mes deux enfants sont très complices pour avancer dans un niveau, mon fils apprenant à s’effacer pour n’être qu’un soutien et laisser ma fille découvrir seule. Enfin, ils délaissent le plus souvent la tablette d’eux-mêmes, tout simplement parce qu’ils s’intéressent à autre chose ou sans plus de crispation quand elle n’a plus de batterie (et ils ne pensent même pas à la brancher pour pouvoir la reprendre ensuite).

Mon fils aime des applications variées et parfois assez compliquées. Il fonctionne souvent en courtes monomanies, ne se dédiant pendant quelques jours ou semaines qu’à une application, ou bien téléchargeant systématiquement des jeux reprenant toujours le même fonctionnement.

Quand il a joué à Clash of Clans, il était très heureux de pouvoir partager avec les adultes : son père (avec qui il partageait le compte), un pote à moi et mon frère ; il a même essayé de convertir son grand frère (grand ado).
Tous faisaient parti du même « clan » et il y avait une grande fierté à cela chez mon fils. Il était particulièrement excité quand mon pote venait à la maison et qu’il pouvait en discuter avec lui.

Pendant une période, il a beaucoup joué à SimCity. Il m’a fallu du temps pour accepter de regarder et quand je m’y suis plongée, j’ai adhéré (de manière un peu obsessionnelle aussi je l’avoue !) et réalisé aussi toute la logique mathématique qu’il y avait derrière (produire par exemple 2 barres de métal et 2 bûches de bois pour usiner 1 pelle afin d’augmenter un bâtiment).
Une fois que je m’y suis mise, il n’éprouvait plus vraiment le besoin d’y jouer, il préférait me regarder ou faire autre chose, se contentait simplement de voir de temps en temps l’avancement, me demandait d’économiser en vu d’acheter telle ou telle chose. Quand on l’obtenait, il y rejouait quelques jours puis s’en éloignait à nouveau.

Je me suis rendue compte que je réagis négativement surtout quand il joue à des jeux qui ne m’intéressent pas, comme lors de sa phase Dragon City, L’envol de Beurk et toutes ces applis où il faut construire un village, élever et combiner des espèces pour obtenir des oeufs possédant de nouvelles compétences… Ça existe pour les dragons, les monstres, en univers Western, viking, fermier…
Pendant un temps, il en délaissait un au bout de quelques semaines pour en installer un autre, avec exactement le même système, et je ne comprenais pas pourquoi il ne profitait pas d’être arrivé niveau 13 – ou je ne sais combien – dans la première appli plutôt que de tout recommencer dans une nouvelle.
Je n’y comprenais rien et n’avais pas envie de m’y intéresser. Il a pourtant bien fallu que je finisse par accepter de voir qu’il lui fallait maîtriser beaucoup d’éléments à travers ces jeux : la compréhension de l’interface déjà, souvent complexe (mon fils ne sait pas lire mais s’y retrouve toujours très bien),  le système de quêtes et de régulation du village (nourrir, agrandir, financer), la mémorisation des spécificités à développer, combiner ou acquérir pour progresser…
En discutant du fait qu’il préférait toujours recommencer le processus dans un nouveau jeu plutôt que de continuer là où il avait déjà progressé, Ramïn Farhangi (directeur de l’école dynamique à Paris) m’a aussi permis de pointer le fait que la répétition est très importante dans le processus d’apprentissage ; comme si mon fils se remettait à l’épreuve à chaque fois, validait ses acquis.

Parfois nous avons des monomanies familiales : Monument Valley par exemple.

Mais parfois, ce sont des épisodes de Pokémon que mon fils s’enfile sur la tablette, et là j’ai à nouveau plus de mal. Il entretient certes son intérêt pour les Pokémons (qu’il complète avec les coloriages, certaines figurines, le jeu de cartes, les livres), mais je trouve ça à la fois violent, mièvre et criard…
Bon… Pour être honnête, je pourrais là encore pointer des trucs positifs qui en sont ressortis malgré ma réticence… Il faudrait peut-être simplement que je les mette à plat pour me détendre à ce sujet aussi !

Ce qui me retient de regarder ça avec sérénité au quotidien, c’est bien cette idée que les écrans sont addictifs et néfastes pour le cerveau (sans parler de la violence véhiculée dans certains univers, on est bien d’accord). Est-ce comme si je proposais à mes enfants du sucre en libre-service, du tabac ? J’oscille donc entre envie d’expérimenter et de faire confiance – sans prendre pour autant mes enfants pour des cobayes malheureux ! – et crainte de mal faire.

C’est également le regard que la société pose sur les jeux et les écrans qui accentue mon inconfort (comportement asocial, activité abêtissante). Il y a dans le fond la peur de ce que quelqu’un rentrant chez moi et voyant mon fils plongé dans un jeu pensera ou dira.

 

Pour continuer à réfléchir :

Article Bernard Collot : « Jusqu’où les laisser aller ? »

Apprendre en liberté : « Limiter le temps passé devant la télé – le point de vue économique »

+ Je n’arrive pas à retrouver le lien vers un article que j’ai lu qui relatait assez bien le fait que généralement, notre inquiétude envers la possible addiction de nos enfants aux écrans venait avant tout de notre incapacité à gérer notre propre consommation. (je le rajouterai si je finis par le retrouver !)